Le règne de la mode estivale
Voici la suite de mon article consacré à la genèse du prestige de la mode à la française.
Depuis le début des années 1950, la jeunesse ne se reconnaît plus, ou seulement partiellement, dans la haute couture. Sous le regard amusé de Brigitte Bardot et Françoise Sagan, qui distribuent les couvertures de magazines, une clientèle joviale impose sous le soleil une garde-robe libérée, avec des vêtements en coton coupé très naturellement. Les robes du soir rayées multicolores, les jupes en forme de clochettes aux imprimés vifs et les tenues de plage aux résonances exotiques séduisent par leur confort. Les danseurs plats, qui facilitent la marche et la danse, s’inscrivent dans cette quête du naturel. Les entreprises d’habillement sont propriétaires de cette production et les maisons de haute couture développent des lignes adaptées. Cette mode estivale, portée en ville comme à la plage, sert aussi de plateforme expérimentale et de tremplin au prêt-à-porter naissant, définitivement imposé dans les années 60.
Un rapprochement des contemporains
Hermès et robe dont la coupe défini le design
L’édition de mai 1952 du Vogue français publie une photographie de la robe « Hermeselle » avec le commentaire suivant : « Alors que l’on s’inspire généralement d’un tirage pour créer une robe, Hermès fait exactement le contraire. En collaboration avec les tissus Léonard, il présente une robe unique dont la coupe détermine le design. L’impression sur fond clair ressemble à un trait de fusain ; sur fond sombre, à un coup de pinceau de gouache. Cet effet visuel donne à la robe son caractère exclusif. Il est disponible en gabardine de coton, soie sauvage et popeline, et dans toutes les couleurs. Il est livré avec une ceinture en cuir et une bande de coton de la même couleur. Cette robe, avec ses boutons tout aussi imaginaires, est en vente chez Hermès et dans ses magasins de Cannes, Biarritz et Deauville… ».
Lanvin-Château repris par Antonio Cánovas del Castillo
Jeanne Lanvin meurt en 1946, à l’âge de 79 ans, alors que 1 500 femmes travaillent à plein temps dans son atelier du Faubourg Saint-Honoré. En 1950, le couturier espagnol Antonio Cánovas del Castillo rejoint la maison de haute couture Lanvin et en prend la direction artistique. Exilé après le soulèvement de 1936, Castillo s’installe à Paris, où il travaille avant la guerre comme designer chez Paquin, puis chez Piguet, jusqu’à ce qu’Elizabeth Arden l’engage à New York. Il était aussi le bras droit de Mademoiselle Chanel. Quand on lui a demandé ce qu’elle pensait de lui, elle a répondu : « C’est une sorte de génie caché. Avec lui, tu dois agir comme un furet, le forcer à sortir de son trou. Alors c’est merveilleux… ». Antonio del Castillo a conçu les collections de la maison Lanvin jusqu’en 1963. Dans les années 1950, il s’efforce de retrouver les couleurs et les broderies que le fondateur de la maison chérit tant. Il a su donner un accent contemporain aux modèles d’une des plus anciennes maisons de haute couture, les rendant plus légers. Son style est encadré dans la recherche de coupes sobres, parfois même austère. Cependant, son goût pour les couleurs vives et les dessins forts révèle toujours ses racines ibériques.
Les hanches s’élargissent
Dans les années 50, les tenues de jour et de nuit semblent imiter les figurines stylisées des couturiers. Les épaules rondes s’éloignent d’un petit buste. Les hanches s’élargissent sous une taille contrainte. Les jambes s’emboîtent comme deux coups de crayon nerveux. Depuis 1947, la femme sait qu’elle doit recourir à une multitude de vêtements intimes qui lui ont été imposés à nouveau. Ces vêtements forment la silhouette et la modèlent selon les dessins du créateur. Le corsage accentue la finesse de la taille. La ceinture efface les hanches, comprime le dos. Le soutien-gorge pigeonnier sépare clairement les seins, permettant un décolleté profond. La lingerie initie une ligne sinueuse ou crantée. « Le jupon est le préféré du moment. C’est l’accessoire indispensable pour les armoires. En lin, plumeti, coton ou dentelle, il est rehaussé de nœuds et porté avec un corsage du même tissu, avec ou sans baleines. En raison de sa largeur, il donne de la consistance aux jupes volantes « , décrit Vogue en 1954. L’ère des bas standards est révolue : brodés, imprimés ou incrustés, combinés à la robe, les bas de nylon couvrent les jambes des femmes élégantes.
Cette nouvelle corsetterie, avec l’étiquette des couturiers eux-mêmes, se réfère aux temps passés. La mémoire du corset est ravivée dans la ceinture. Trois couleurs, noir, rose et blanc, sont utilisées dans une lingerie que les années 60 vont bannir. Il faudra attendre les années 1980 pour redécouvrir leurs charmes.
La robe de cocktail, son apogée sur les défilés datent des années 50
Disparue aujourd’hui des défilés, magazines et coutumes, la robe de cocktail synthétise la mode et la garde-robe féminine des années 1950.
Il s’agit d’une évolution naturelle de la robe informelle ou robe du soir des décennies précédentes. Il est né strictement dans les années d’après-guerre et a disparu avec l’essor du prêt-à-porter au cours de la décennie suivante. De longueur variable, c’est une robe du soir moins formelle. Avec ses multiples volées et amplitudes, elle est l’héritière de robes du soir ennoblies de tissus précieux. Il est spontanément associé à la forme du corsage, avec ou sans bretelles, mais peut aussi porter des manches trois-quarts et être enveloppé dans un manteau court du même tissu. Rose pâle, rouge vif, bleu intense ou dilué, les encres et imprimés noirs se distinguent sur leurs jupes volumineuses. Les robes de cocktail se portent « à partir de 20 heures pour le dîner, le restaurant, le théâtre ; leur forme allie élégance et confort…. Chaquetilla Spencer, boléro, écharpe ou manteau déguisent les épaules nues jusqu’à les montrer, dit Vogue en 1950.
Véritable archétype d’une mode photographiée et diffusée par l’industrie du cinéma, la robe de cocktail disparaît lorsqu’André Courrèges crée en 1964 une garde-robe en rupture totale avec le passé. La jeunesse de l’époque voyait dans cette robe un élément d’esclavage des femmes, réduit à un état de coquetterie. Ce n’est que dans les années 1980 qu’elle inspirera à nouveau les collections des créateurs.
En 1958, dix ans avant la fermeture de la maison de haute couture de Cristóbal Balenciaga, le créateur de mode espagnol lance le modèle « Baby doll » dans le monde de la mode parisienne. Sa forme est très simple. Ses proportions sont quelque peu surprenantes et il est probable qu’aujourd’hui il a été qualifié de surdimensionné. Le volume disproportionné et les plis abondants, qui évoquent les robes des poupées des années 20, sont les principales caractéristiques de cette nouvelle silhouette.
Son originalité radicale annonce les tendances réformatrices et simplificatrices des années 1960. Dans ses collections de 1958, Balenciaga a recours à des références historiques de style Directory et Empire. Il ne suit pas d’autres règles que la maîtrise et la technique.
Pierre Balmain pour Jolie Madame
Les robes de Pierre Balmain sont coupées sur les silhouettes avec de nombreuses courbes de Praline et Stella. Les mannequins et les muses d’une marque née en 1945, représentent l’image de la féminité qui se transmet aux lecteurs des magazines de mode. Le succès de Balmain repose sur une approche mesurée. Elle séduit les clients qui ne veulent pas disparaître après un style trop oppressant. Depuis la saison automne-hiver 1952-1953, ses collections s’intitulent « Jolie Madame », selon le parfum éponyme. C’est plus qu’un slogan. La mode Pierre Balmain accompagne les femmes, qu’elles soient mannequins, femmes célèbres, actrices ou clientes. Elle ne s’impose jamais, car la discrétion est un principe de base des créations, toujours attractives, de ce couturier.
Christian Dior par Yves Saint Laurent
A 22 ans, Yves Saint Laurent lance la ligne « Trapèze » dans sa première collection. Le jeune couturier succède à Dior, qui disparaît tragiquement en 1957 après dix ans de créations. Fidèle à son esprit, il s’appuie sur le langage des lignes et des coutures que Dior a eu le plaisir de renouveler. La ligne « Trapèze » emprisonne le buste et se déplie généreusement sur les jupes.
Les mannequins sont habillés en « Printemps », « Porcelaine », « Séduction »… Ce sont les noms que le jeune homme a choisis pour les robes en organdie, les jupes en tulle ou les vestes en laine ou flanelle qui accompagnent ses premiers pas. « Aurore », dont il existe une version en bleu porcelaine dans les archives de la maison Dior, fait toujours partie du répertoire des années 1950 que Yves Saint Laurent quittera en même temps que la maison Dior en 1960.
Les vêtements et robes du soir
« Les robes du soir représentent le luxe des couturiers. Ils y déversent toute leur fantaisie. Ils représentent environ un dixième des modèles de la collection, explique Paris Match en 1950. Qu’il s’agisse de Balmain, Dior, Fath, Schiaparelli ou Balenciaga, ils s’améliorent tous lorsque, dans le défilé, les longues couleurs apparaissent. En style sirène, en style tube ou, au contraire, très larges, ils concentrent tous les intentions ou fantasmes magistraux de chaque créateur.
Des tissus lourds et nobles comme le taffetas, les satins et velours, les tulles et mousselines disposés en couches vaporeuses, la dentelle… Les robes du soir subtiles ou théâtrales transforment certains couturiers en peintres d’inspiration et d’autres en sculpteurs de l’éphémère. Sur les mannequins flattés, Anne Saint-Marie, Bettina, Dorian Leigh, Dovima ou Susy Parker, portent des costumes somptueux de réminiscences historiques qui deviendront bientôt le somptueux emballage des actrices de cinéma et de théâtre.
Le secret du succès de Jacques Fath réside dans le fait d’avoir insufflé sa jeunesse et une joie extraordinaire dans ses créations. Depuis qu’il a fondé sa maison en 1937, le couturier a exagéré les courbes de ses hanches et de sa poitrine, ouvrant ainsi la voie au New Look des années 1950. De plus, il ose la couleur. Elle remplace l’élégance stricte de l’avant-guerre par une mode qui exhale la joie de vivre. Il s’entoure de nouveaux talents et de nouveaux visages, en particulier celui de Bettina, qui sera son mannequin vedette pendant plusieurs années. Lorsqu’ils ne sont pas asymétriques, dessinés à main levée et coupés avec des ciseaux nerveux et courts, les costumes s’aventurent avec d’autres couleurs et matériaux. C’est le cas de ce modèle, dans lequel le tulle blanc sert de cadre pour présenter un gracieux corsage brodé de motifs en grain de maïs.
Pierre Balmain s’inspire du 18e siècle
La robe du soir des années 1950 combinée à une jupe large et longue est l’une des icônes de la garde-robe désirée. Dans une variété de tissus, il évoque des robes françaises du XVIIIe siècle. Pierre Balmain, Christian Dior et Jacques Fath s’inspirent souvent du Siècle des Lumières et redécouvrent la magnificence des satins, taffetas et velours, que les fashionistas aiment parés de rubans, agrégats et autres billes.
Balmain, qui a ouvert sa maison en 1945 après avoir travaillé avec Piguet et Lelong, entre autres, reste fidèle à cette influence dans ses robes de cocktail et de soirée. « Antonia », dont la réplique exacte a été portée par l’actrice de théâtre Edwige Feuillère, illustre parfaitement ces réminiscences en ornements et en formes. Les broderies métalliques au centre de la robe et les roses de mousseline appliquées célèbrent cette reprise de l’appréciation de l’histoire à la mode des années 1950.
Christian Dior et la lettre Y
Le communiqué de presse qui accompagne la collection automne-hiver 1955-1956 de Dior commence ainsi : » C’est à nouveau avec une lettre de l’alphabet, le Y, que s’exprime l’essence même de la nouvelle collection (…). La poitrine, très haute, fleurit entre les branches du Y qui atteignent la base des épaules, naturelles et petites ». Au désir de stylisation que l’on perçoit en différents points s’opposent « de nombreuses jupes falla gonflées, froncées, gonflées et creusées à l’orientale ». Insistant sur les couleurs à la mode, il convient de signaler pour la nuit les roses, les bleus pâles et les blancs, qui vont de l' »isabelo à l’ivoire ».
Jean Dessès et sa maitrise du drapage
Jean Dessès était un couturier grec né à Alexandrie. Après des études de droit, il opte rapidement pour la mode et ouvre sa maison de haute couture en 1937. Après la guerre, il sculpte des robes du soir très plissées et drapées dans des couleurs allant des tons unis aux nuances subtiles des contrastes. En dehors de sa maîtrise du drapage, il n’y a pas d’autres références à l’Antiquité dans ses créations.
Jacques Heim, discrétion
Les costumes de Jacques Heim ne sont pas impressionnants, mais plutôt discrets et élégants.
Voici donc la fin de ma rétrospection de la folle période débutant après guerre et allant jusqu’à la fin des années 50 dans les maisons de haute couture française. J’espère que cela vous aura plu, moi j’ai pu apprendre beaucoup de choses passionnantes en faisant ces articles.